MARIN SORESCU
SOLITUDE
Au chevet du grabataire
Rien que le chevet. Il relève sa tête de là-dessus
Et, comme s’il le voyait en première,
Il lui demande d’une voix éteinte :
- Tu es venu me tenir compagnie,
N’est-ce pas, mon chevet ?
- Oui.
Il faut bien qu’il y ait quelqu’un auprès de toi
Pendant ces heures qui courent,
Car tu es gravement malade.
ÉCHELLE AU CIEL
Seul, un fil d’araignée
Pend du haut plafond,
Exactement au-dessus de mon lit.
Jour après jour, je m’aperçois
De ce qu’il descend toujours plus bas.
On m’envoie chercher, voire
Une échelle au ciel, dis-je.
On me la jette de là-haut.
Bien que j’aie maigri trop, terriblement même,
Je ne suis que le fantôme de qui je fus.
Je me rends compte que mon corps
Reste cependant trop lourd
Pour cette échelle tellement délicate.
Vas-y, mon âme, vas-y toi de l’avant,
Vas-y mollo !
L’ ÉTANT PARTI
Il est parti sans prendre la peine de vérifier
S’il a éteint le gaz
Ou s’il a fermé les robinets d’eau courante.
Il n’est plus revenu sur ses pas,
A cause de ses petits souliers neufs –
Pour chasser les vieux, plus commodes.
Il est passé devant le chien
Sans lui adresser la moindre parole.
Celui-ci fut fort étonné, puis se rassura :
« Cela veut dire qu’il ne va pas trop loin.
Il rentrera sous peu ».
SPECTATEUR
J’observe avec intérêt
Le combat que livre l’instinct à la vie,
Au génie de la mort.
La vie met en œuvre mille et un subterfuges
La mort descend dans l’arène en usant de mille perfidies,
Pareille à deux gladiateurs
L’un armé d’un trident et d’un filet,
L’autre combattant avec le glaive.
Resserré entre la logique mystérieuse
De la vie,
Et la logistique majestueuse de la mort,
J’ai mué en les lieux mêmes du combat
Tout ce qui reste de moi,
Ce sont juste les yeux –
Pour voir et pour se rendre, terrorisés.
LE BÉLIER AUX CORNES RECOURBÉES
Le bélier aux cornes recourbées
Par 24 fois recourbées de tous les côtés,
Recule de quelques pas, prend son élan,
Puis charge et fonce sur une tête de pont.
Il combat furieusement une tête de pont,
Le bélier impérieux, aux cornes recourbées.
Ensanglanté, il s’agenouille et dit :
« Je me heurtai aux bornes de la connaissance,
J’ai lutté avec elle,
Mais ne parvins pas à la faire bouger,
Elle ne remua guère…
Ma peur de la mort m’y poussa,
Ma vaillance m’a déterminé à la charger ;
Rien n’y fit.
Cette tête de pont, c’est bien la mort…
Et ma tête de bélier moult en pâtit.
Ô, soleil, vers toi s’élève toute notre espérance,
Vers toi, qui… »
De grosses larmes perlent et ruissellent de ses yeux
Tellement beaux, de bélier.
Et s’en vont scintiller d’impuissance ses cornes
Recourbées par 24 fois.
Traduit du roumain par
Constantin FROSIN
Comentarii
Aranca -
domnule Frosin, este un lucru dificil in a-l traduce pe Marin Sorescu. Dificultatea este valabila si pentru clasicii pe care ii traduceti. E o munca laborioasa ingreunata nu numai de sensul pe care il capata intr-o alta limba dar si un efort stilistic in a exprima astfel spiritul romanesc. In acest context, apreciez foarte mult ceea ce realizati. Doresc, in spiritul unei expuneri reusite a muncii dumneavoastra, sa va spun ca exista un anume risc in prezentarea traducerilor: 1) nu este textul original alaturi si nu se poate compara calitatea si valoarea traducerilor; 2) sint prea multe traduceri deodata postate ceea ce ingreuneaza perceptia multora (aici pe site fiind prezenti persoane de virste diferite, profesii diferite cu un singur numitor comun: literatura), in acest caz numarul de traduceri prezentate deodata, fiind un dezavantaj. Sint convinsa ca veti accepta aceste opinii si veti actiona intr-un sens pozitiv.
NMP -
de l'humour !!! de l'humour avant toute chose.... et je me fends d'un grand sourire lorsque je lis déjà le tire: "qui n'est plus ce qu'il fut"... bien sûr, il est décédé, donc il n'est plus... ce qu'il fut. Ensuite le sous-titre : "de la vanité de toute chose", c'est bien là, l'ironie, n'est-ce pas, dans cette simple phrase, si profonde qu'elle touche au coeur . C'est l'essentiel. Oui la traduction est excellente, et ces deux phrases sont un clin d'oeil empli de tendresse et nous font entrer dans le vif de l'oeuvre de ce très grand écrivain et poète majeur qu'était Marin Sorescu. Un écrivain doté d'une bonne dose d'humour, d'ironie, et aussi d'une clairvoyance , d'une vision du réel transposé métaphysiquement dans le mythe et l'allégorie. Traduire n'est en aucun cas transposer mot à mot un texte, il y a là tout l'esprit et le style de l'auteur. Traduire est un acte de création , tout comme l'est l'écriture, d'ailleurs traduire équivaut à écrire dans la langue de l'autre, créer de la même manière que l'autre a créé dans sa propre langue.