Poèmes de Tudor Arghezi

imaginea utilizatorului cfr
Il écrivait d'ABONDANCE, ce TA

TUDOR ARGHEZI

ABONDANCE

Il est le seul à mener vers l’Ether
Le sillon creusé au pays, dès le foyer.
A les voir s’arc-bouter aux cornes du fer,
Il semble coulé en bronze, les bœufs en rocher.

Le blé, le maïs, le seigle, l’orge, le millet
Aucune graine ne court le risque de se détruire.
La lame de la charrue, quand retournée,
S’attarde un peu sous le soleil pour roussir.

Agile, l’acier arrache en profondeur
La glèbe, travaillée avec acharnement
Et zèle, jusqu’à ce que, avec bonheur,
La lune dépose sur terre ses radieux fragments.

Depuis le noir peuplier, contre la voûte appuyée,
La nuit en rase campagne se défait doucement,
A n’en plus finir, comme d’une quenouillée
Entièrement ornée de scintillements.

Il règne un silence de commencement du monde,
Toi, ne t’avise pas de tourner la tête,
Car Dieu marche à tes côtés et mène la ronde.
Projetée, son ombre sépare les (deux) bêtes.

EX LIBRIS

Toi, beau livre, gloire à qui t’aura écrit
Lentement préparé, tendrement considéré,
Tu es pareil à une fleur, épanouie exprès
Au toucher de mes mains, qui t’ont cueilli.

Pareil au violon, tu es le seul qui chantes
Tout l’amour, faisant d’un cheveu une corde,
Et tes pages, qui de vérité débordent,
Furent imprimées de lettres saintes et innocentes.

Un homme de sang puise là-haut de la boue
Et s’en va concevoir son énorme fantôme
Avec des rêveries, des ombres et des arômes
Et le descend, tout vivant, parmi nous.

Mais son sacrifice me paraît infécond
Autant que le vers du livre est divin.
Hélas, livre adoré et tellement divin,
Tu ne réponds à aucune de nos questions.

P S A U M E
(JE NE PENSE PAS TE DEMANDER L’ IMPOSSIBLE)

Je ne pense pas te demander l’impossible,
Vu ma souffrance déçue, combien impossible.
Si je deviens toujours plus insistant,
C’est pour qu’à ton fidèle tu parles plus souvent.

Depuis que fut parachevée l’Ecriture
Tu n’es plus venu me voir dans ma clôture.
Les années, tout comme les siècles, disparaissent
Ici-bas, sur terre, sous Tes yeux, sans cesse.

Quand les mages en quête d’une étoile, allaient,
Tu leur parlais – cela arrivait
Quand ce fut le tour de Joseph,
Tu retrouvas ses traces à la greffe
Et un ange lui donnas pour l’illuminer
Et cet ange-là se tient devant lui, tout près.
A l’époque, Tes anges ne faisaient pas tout un drame
D’assister les petits, comme les hommes et les femmes.

Moi seulement, Dieu l’Eternel et le Parfait
Ne m’en envoya, malgré mes prières, jamais.

PSAUME
(MA PRIERE PARAÎT BIEN INEXPRIMABLE)

Ma prière paraît bien inexprimable
Et mon chant, Seigneur, à peine audible.
Je n’exige rien. Rien n’est plus représentable.
Auprès de Ton éternité, suis imperceptible.

Ma prière est peut-être étrangère à la dévotion,
Mon être charnel n’a peut-être rien d’humain.
Je me consume en toi, tout doux, tel un tison.
Je te cherche, muet, te figure, te dépeins.

Mon œil est alerte, intacte ma liberté.
Je te scrute à travers Ton blanc vêtement
Pour que mon esprit en arrive à tout déchiffrer
Indépendamment de mes charnels penchants.

La flèche nocturne chaque jour rompt son extrémité
Et chaque jour elle y ajoute du métal.
Mon âme s’offre à tous, sous forme de sept gobelets,
Attend qu’on le re-présente en cristal

Sur une serviette toute parsemée de rayons.
Dis donc, Nuit, en témoin smaragdin,
Quels sont, précisément, la fleur et le tronc
Où fermente le jus de ton aimable grain ?

Le repas prévu pour le dîner
S’éternise sur la table dès le matin.
Seigneur, je suis enclos comme un potager
Où vient paraître un poulain.

LOUANGES

J’ai eu beau te tenir tête et je dois abandonner
Le combat à l’ombre de la blanche lune, ma lance tout cassée.
J’ai mis entre nous deux la terre et les eaux, encore j’en tremble –
Et nous voilà, maintenant, partout, tous deux ensemble.
Je te retrouve sur tous mes chemins, car point ne t’éloignes
De moi, et ne renonces jamais à être ma muette compagne
Au hasard des puits, dont tu ramasses l’eau dans tes paumes
Pour mes lèvres, jaillie entre les pierres de mémoire d’homme.
Tu dégrafes ta robe et, m’offrant tes seins comme des bols,
Me laisses le choix entre l’eau du puits et leurs belles aréoles.
Au caniveau tu portas tes lèvres en même temps que moi
Brûlant du désir de nous y régaler à la fois.
En partageant mes faits et gestes, comme l’ombre de la pensée,
La lumière t’a portée dans son ventre, la terre t’a élevée.
Tes silences l’emportent haut la main sur n’importe quels sons :
Au combat, en prière, dans ta démarche et dans ton violon.
J’ai l’impression que tout ce dont je souffre te fait mal,
Témoin des nouveaux-nés et de ceux qui périssent ou râlent.
Je te sens comme m’étant très proche, pourtant si éloigné –
Ma fiancée le resteras, ma femme, ne le seras jamais !

MORGENSTIMMUNG

Tu glissas ta mélodie dans mes tréfonds
Un après-midi, quand
La fenêtre de mon âme, malgré l’ardillon
Fut ouverte par le vent
Sans apprendre que c’était tien, ce chant.

Ta chanson a vite fait de remplir la villa :
Les tiroirs, les tapis, ainsi que les cassettes,
Pareillement à une lavande sonore. Voilà
Furent bien tirées les targettes
Et le dernier voile de mon monastère tomba.

Ce n’eut pas été chose extraordinaire
Si n’était pas venu creuser
En compagnie du chat, ton auriculaire,
Lequel caressait les merles sur le clavier
Et, avec les deux, ton être – à peu près.

Conjointement à la foudre, tombèrent les nuées
Dans la chambre de mon univers étanche.
L’orage fit venir les grues cendrées,
Les abeilles et les fouilles… En revanche,
Pareilles aux pétales, mes poutres se sont délabrées.

Pourquoi chantas-tu ? Pourquoi t’entendis-je ?
Aérienne, pour m’accompagner, tu arrivas –
Ensemble, sous la voûte céleste :
Je venais d’en haut, tu venais d’en bas,
Tu venais des vivants, moi, des mortels restes.

Traduits du roumain
par Constantin FROSIN

Lingua: